Vous ne connaissez sans doute pas Khorgos, mais vous connaissez sûrement le projet chinois intitulé « Les nouvelles routes de la soie ». Il s’agit d’un projet gigantesque du président chinois Xi Jin Ping qui reprend, pour étendre son influence, le nom qui a été donné, depuis des siècles, aux voies terrestres et maritimes qui permettaient à la Chine de faire du commerce avec l’Europe et avec l’Afrique pour exporter ses produits, dont le plus précieux : la soie.
Le projet actuel, initié en 2013, a d’abord des objectifs internes à la Chine : l’un des problèmes du pays est la différence de développement entre la partie maritime du pays, à l’Est, et sa partie intérieure, à l’Ouest. En particulier, la province du Xinjiang est l’une des plus pauvres du pays, et cela favorise le mécontentement des Ouïghours, qui supportent mal la présence de Pékin. Pour atténuer ce mécontentement, le président Xi joue la carte du développement économique, un peu comme le gouvernement français, dans les années 1960, a favorisé le développement de la Bretagne par le plan routier breton. Concernant la partie ferroviaire du projet, le premier acte a permis de relier Chongqing, immense métropole chinoise de 35 millions d’habitants, à Urumqi, capitale de la province du Xinjiang.
Le projet ne s’arrête pas à la Chine : il est d’aller, soit par train, soit par camion, d’une quinzaine de villes chinoises à une vingtaine de villes européennes dont Duisbourg, Paris, Londres et Madrid. C’est ici que Korghoz prend de l’importance, car c’est la première ville du Kazakhstan que les trains, bondés de containers, et les camions de la nouvelle route de la soie doivent traverser pour rejoindre ensuite la Russie, la Biélorussie, la Pologne et l’Europe de l’Ouest. Problèmes : d’abord, l’écartement des rails n’est pas le même au Kazakhstan qu’en Chine et en Europe. Des transbordements d’un train à l’autre sont donc nécessaires ; ensuite, les habitants du Kazakhstan, pourtant peu habitués à contester, proclament que les Chinois peuvent acheter leur uranium, leur gaz et leur pétrole, mais pas leurs terres, pourtant vitales pour construire les équipements nécessaires au projet. Il faut dire en effet, que le Kazakhstan, qui vient de passer de la dictature de Nazerbeiev à celle de son successeur, regorge de matières premières qui intéressent fortement les Chinois. Quoi qu’il en soit, le projet se poursuit : cette nouvelle route de la soie permet dès à présent aux produits chinois d’arriver à Duisbourg et aux mêmes trains de repartir en Chine, remplis de vins français et de berlines allemandes ...
Les voies terrestres ne sont pas les seules, et l’Europe n’est pas la seule destination prévue : d’abord, les voies terrestres visent aussi des pays comme l’Iran ou la Turquie, ainsi que les pays pétroliers du Moyen-Orient, pour sécuriser les approvisionnements énergétiques du pays ; ensuite, les voies maritimes ont également leur place dans le projet chinois, avec l’intention d’utiliser de plus en plus, au Nord, la route qui passe par le détroit de Behring et le pôle Nord, grâce à la fonte des glaces, plutôt que de passer, au Sud, par la mer de Chine puis par le canal de Suez. Ce dernier avait déjà permis de diminuer considérablement la durée du voyage, par rapport au trajet passant par le Cap de Bonne Espérance ; les projets actuels permettront encore une diminution de moitié de la durée des trajets.
Les Chinois veulent associer à ce projet non seulement la Russie et ses amis asiatiques, mais aussi tous les pays que devra traverser cette nouvelle route. C’est évidemment une stratégie visant à asseoir le leadership chinois sur l’Asie et à étendre son influence dans tous les pays traversés. Le projet suscite pourtant certaines réticences, notamment en Russie, en Inde et dans certains pays européens. Il se heurte aussi, dès à présent, à des difficultés financières : la Chine, pour réaliser les investissements liés à ces projets, prête facilement de l’argent aux pays concernés, mais, déjà, un pays comme le Kazakhstan souhaite différer le remboursement des emprunts contractés. Affaire à suivre, sur des décennies. En attendant, la ville de Khorgos, qui n’était peuplée au début du siècle que de nomades et de chameaux, compte déjà près de 100 000 habitants.
Pierre le Roy, novembre 2020
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